DU BLÉ AU PAIN Le blé : la moisson
Peinture égyptienne. La récolte des céréales mûres fut à l'origine une simple cueillette. Puis la moisson se fit à la main à l'aide d'un couteau de silex, d'une faucille ou d'une faux, et ensuite mécaniquement par une moissonneuse, puis une moissonneuse-batteuse. Je ne vois autour de moi que de l'or et de tous côtés la couleur de la moisson". Paul Claudel
Les peintres ont aussi fixé
ces moments et ces scènes de culture du blé où l'homme et la femme sont intégrés dans des images simples, comme primitives et permanentes, à la fois chargées de sueur et de spiritualité. Alors que la nature a longtemps été présentée surtout comme un cadre ornemental, c'est à partir du milieu du XIXème siècle, après les générations romantiques, que des artistes se sont attachés à montrer que la vie paysanne n'est pas qu'une entité décorative. Corot, Courbet, Daubigny, Millet et l'Ecole de Barbizon, Van Gogh, entre autres, ont immortalisé ces moments. Ainsi, Van Gogh a laissé des dessins et des tableaux de moissonneurs, d'une paysanne liant le blé, d'un paysan fauchant et d'un puissant semeur qui est comme une réponse visuelle au texte de Hugo. Il est remarquable aussi que son dernier tableau, peint juste avant son suicide, soit précisément un champ de blé survolé par des corbeaux ... Courbet pour sa part a surtout montré la réalité sociale de la vie paysanne. Ses Cribleuses de blé furent conçues comme un tableau-manifeste sur le travail quotidien. Scène de genre traitée en grand format qui illustrait une nouvelle conception de la place et du rôle de l'art, ainsi que de la société elle-même. Il surprit et dérangea : "un grand format pour un sujet de si peu ,"dit-on. "Je parle de l'humanité" répondait le peintre. C'est sans doute Millet qui reste le témoin privilégié du monde rural et qui a produit la synthèse de gestes réalistes de la vie rustique et de souvenirs bibliques. Ainsi, ses Glaneuses (1857) traduisent le labeur, la fatigue de femmes courbées vers le sol, occupées à ramasser quelques épis épars après la moisson, dont la couleur comme l'ont écrit les Goncourt ne semble que la détrempe des milieux où ces corps pliés ont vécu : bleu comme le ciel, brun comme la terre. Ces tableaux sont autant d'évocations de la mélancolie du temps qui passe, des images laborieuses de l'humanité, de ses efforts et de ses limites : le semeur, la moisson, le vanneur, le repas des moissonneurs et l'Angélus placé dans un horizon que rien n'arrête où la lumière déclinante glisse sans se poser. L'immense succès rencontré par ces oeuvres - leurs reproductions étaient accrochées comme des icônes - atteste bien de leur valeur emblématique et symbolique. Moment d'humilité et de méditation. Vie des campagnes simple et mystique, une réaction déjà par rapport à celle de la ville et de la révolution industrielle matérialiste. Ce qui est montré, ce n'est pas une scène mais une idée. De votre douce chalaine
Eventez cette plaine
Eventez ce séjour :
Cependant que j'ahanne
A mon blé que je vanne
A la chaleur du jour J. Du Bellay, Du vanneur de blé, au vent. Plus d'un siècle plus tard, alors que la technologie agricole a triomphé, que bien peu ont vu le "geste auguste du semeur", que sont devenues ces images ? Ont-elles perdu leur charge émotionnelle, sont-elles oubliées, effacées, tout juste perdues dans un coin de la mémoire ? Il ne semble pas. En témoigne la Grande Moisson des Champs Elysées organisée par la corporation des Jeunes Agriculteurs en 1990, le 24 juin, jour de la Saint Jean. Sur fond d'Arc de Triomphe, l'avenue a été transformée en une vaste plaine de blé qui fut moissonné. Moisson en forme d'opéra-spectacle se terminant par un feu d'artifice. Projet qualifié par les concepteurs d'assez fou qui demanda une planification et une organisation considérable à laquelle participèrent à la fois le Centre National des Jeunes Agriculteurs, la Ville de Paris, le Ministère de l'Agriculture, le Crédit Agricole et la Filière Céréalière. Quinze mille palettes remplies de terre et capables de résister à des moissonneuses batteuses de 16 tonnes, furent mises en germination dans des serres spécialement construites dans les Yvelines. Les épis apparurent fin avril avec une densité de 500 par m2 . Ils mûrirent de mai à juin. La veille de la Saint Jean, ils furent transportés par une navette de 560 camions et recouvrirent le bitume sur un hectare de l'avenue.
Cette manifestation réussie et largement médiatisée, attira une grande foule, illustra la première page des journaux et fut retransmise par la télévision. Soudain, les "Champs" comme l'appellent familièrement les Parisiens, voie urbaine et triomphale, étaient revenus à leur fonction agricole première. Le propos des organisateurs était de "replacer l'homme dans ses racines et rendre hommage à la chaîne des générations innombrables qui se sont succédées, rendant, jour après jour, par leur effort, leur générosité et leur savoir-faire, un sens au travail de la terre".
Le débat se place naturellement "au-delà des machines et des engins dont se servent les agriculteurs et des époques auxquelles ils appartiennent". Plus qu'un spectacle de grande ampleur, cette Grande Moisson des Champs Elysées fut, comme l'indiqua le dossier de Presse, avant tout "un immense rendez-vous émotionnel" et "un cadeau des praticiens de la terre aux habitants de la planète". La gerbe de blé a été de tous temps symbole de prospérité et de bonheur. On l'accroche au faît d'une maison neuve lorsque la charpente est terminée, ou sur la porte d'entrée de la maison. Michèle Mosiniak, Roger Prat et Jean-Claude Roland
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