La vie aux champs Le soir, à la campagne, on sort, on se promène
Le pauvre dans son champ, le riche en son domaine
Moi, je vais devant moi ; le poète en tout lieu
Se sent chez lui, sentant qu'il est partout chez Dieu
Je vais volontiers seul. Je médite ou j'écoute
Pourtant, si quelqu'un veut m'accompagner en route
J'accepte. Chacun a quelque chose en l'esprit
Et tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit
Chaque fois qu'en mes mains un de ces livres tombe
Volume où vit une âme et que scelle la tombe
J'y lis
Chaque soir donc, je m'en vais, j'ai congé
Je sors. J'entre en passant chez des amis que j'ai
On prend le frais, au fond du jardin, en famille
Le serein mouille un peu les bancs sous la charmille
N'importe : je m'assieds, et je ne sais pourquoi
Tous les petits enfants viennent autour de moi
Dès que je suis assis, les voilà tous qui viennent
C'est qu'ils savent que j'ai leurs goûts; ils se souviennent
Que j'aime comme eux l'air, les fleurs, les papillons
Et les bêtes qu'on voit courir dans les sillons
Ils savent que je suis un homme qui les aime
Un être auprès duquel on peut jouer, et même
Crier, faire du bruit, parler à haute voix
Que je riais comme eux et plus qu'eux autrefois
Et qu'aujourd'hui, sitôt qu'à leurs ébats j'assiste
Je leur souris encor, bien que je sois plus triste
Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais
Me fâcher ; qu'on s'amuse avec moi ; que je fais
Des choses en carton, des dessins à la plume
Que je raconte, à l'heure où la lampe s'allume
Oh! des contes charmants qui vous font peur la nuit
Et qu'enfin je suis doux, pas fier et fort instruit Vitor Hugo La Terrasse, août 1840 Les Contemplations |