A dix-neuf heures, le téléphone sonna dans la chambre d’hôtel ; Aziz décrocha -Un monsieur, du nom d’Abdeslam, veut vous voir monsieur!x - Je descends dans dix minutes, répondit Aziz Il raccrocha, se releva avec peine et alla prendre une douche. Il descendit ensuite et, dans le hall de l’hôtel, trouva Abdeslam qui attendait. Il le salua et quittèrent tous les deux vers la maison.x Le diner se passa en silence, hormis quelques compliments faits par Aziz à sa sœur pour tel ou tel met. Après le diner on servit le thé et on discuta de la chaleur, des événements locaux et régionaux et on évoqua même quelques histoires drôles du passé qui arrachèrent quelques rires à Aziz et firent un grand plaisir à tous les membres de la famille. Cette intime réunion se prolongea jusqu’à minuit. Driss porta son fils, endormi à côté de lui , à sa chambre et, lorsqu’il revint il ne trouva ni Abdeslam ni Aziz… il ne posa aucune question, se retira dans sa chambre et ferma la porte. Rajae s’était mise à ranger la maison aidée par deux tantes et une cousine, après quoi elles allèrent se coucher. La nuit était bien présente : on entendait de temps en temps un renflement, puis le silence complet et de nouveau le ronflement…x Loin de là, au café habituel, situé près de la gare, Aziz et Abdeslam tenaient leur coin préféré et buvaient tranquillement leurs cafés - Je me suis habitué au climat humide de la capitale, là je sens le changement…dit Aziz - Pourtant tu as passé toute ta vie ici, tu te sentais bien, pourquoi alors aller te pourrir par le climat de la mer !x Aziz alluma une nouvelle cigarette et oublia ce que venait de dire Abdeslam, celui-ci sentit que ses propos n’étaient pas les bienvenus - Mais dis-moi Aziz… comment as-tu réussi à te faire muter à Rabat en si peu de temps ? on sait que c’est presque impossible !x - Impossible ? dit Aziz en riant, il n’y a pas d’impossible dans ce pays ! Le lendemain de mon départ, je me suis dirigé vers un café de renommée le « SIBERIA » je ne sais toujours pas pourquoi on lui avait donné ce nom ; dans ce café se passent toutes les transactions… il suffit de vouloir acheter et avoir de quoi payer. J’ai dit au serveur que je voulais quelqu’un pour une mutation, il promena son regard dans le café et me dit « c’est Bachir mais… je ne le vois pas, il n’est pas encore arrivé… dès qu’il arrivera je vous le dirai ». j’ai pris un café et j’ai attendu. Tout à coup le serveur vint en compagnie de notre homme, après les présentations et les salutations, il prit place en face de moi - en quoi puis-je vous être utile monsieur ?x - Aziz… je m’appelle Aziz, je travaille à la direction des douanes à Meknès et je voudrais une mutation à Rabat - La direction des douanes… la direction des douanes… oui voilà j’ai quelqu’un là-bas… ouais le voilà ! bon voyons si j’ai un bout de papier…le voilà, un stylo ? en voici deux…bien monsieur Aziz tu m’écris tes coordonnées ici.x J’ai écrit toutes les informations et lui tendis le bout du papier, sur quoi il se leva et quitta le café pour s’arrêter sur la terrasse et entamer une communication téléphonique avec notre homme tout en regardant le bout du papier. Il se préparait à revenir quand un type vint le saluer et leur discussion dura quelques instants qui me semblèrent une éternité. Il revint vers moi, s’assit et demanda deux bières bien froides. Il prit une grande gorgée et me regarda dans les yeux - Bien, me dit-il, ça peut se faire, mais…x - Mais quoi ?x - Es-tu solvable ?x - Est-ce que votre homme est sûr ?x - Lui n’est pas sûr… moi, si ! c’est à moi que tu as affaire ; et avec moi c’est pas du bidon…x - ça me coûtera combien ?x - J’aime traiter avec des types comme toi, qui ne me font pas perdre mon temps, des hommes… c’est vingt-milles dirhams à prendre ou à laisser ! es-tu ou non mon homme ?x - C’est d’accord !x - - Bien, dit-il en vidant sa deuxième bière, le jeudi ici même à onze heures, tu auras la somme dans ta poche et dans la mienne ta mutation, ça vous arrange ?x - ça m’arrange !x Et voilà, le surlendemain j’ai tendu les deux milles dirhams et j’ai empoché le bout de papier qui m’arracha à ma ville natale.x Abdeslam le regarda tristement avant de commenter - Il t’arracha à ta vie, Aziz ! pas à ta ville…x - Je me suis fait une autre vie, ça arrive chaque jour à des millions de personnes, c’est douloureux, mais il n’y a pas de quoi faire un drame !x - - Que de fois j’avais eu l’envie de changer de vie, dit Abdeslam, mais bon, j’essaie de supporter celle que j’ai…x - La vie c’est la vie, Abdeslam, tu ne la changes pas… tu changes peut-être d’orbite mais tu navigues dans le même champ de gravitation, aucun moyen de lui échapper que par l’unique issue : la mort.x |