منتديات الأستاذ التعليمية التربوية المغربية : فريق واحد لتعليم رائد

Aziz était à sa quatrième cigarette, son verre de thé à la main, il parlait avec Abdeslam des voisins anciens et nouveaux, du quartier, des nouvelles des oncles, des tantes, cousins et cousines, des mariages faits, des naissances et des décès. Il apprenait tant et tant de nouvelles aussi nombreuses qu’étonnantes, mais aucun trait de son visage ne marquait ni surprise, ni joie, ni colère, il était impassible, imperturbable ! Pourtant il ne cessait de poser des questions, demandant des précisions, des explications et Abdeslam y répondait avec toute la verve et l’enthousiasme du monde, heureux de ce moment tant et tant attendu.

En face d’eux se dressait une grande maison avec, au rez- de- chaussée, la plus grande droguerie du quartier, voire de la ville. C’était la maison de hajj hamid, un ami de leur père. Aziz ne détachait pas ses yeux de cette maison. Abdeslam l’avait remarqué depuis le début, et savait pourquoi mais n’avait pas le courage d’aborder le sujet. Un silence s’instaura, Aziz ne posait plus de questions et se contentait d’observer la maison.

- Elle a quitté le pays ! lâcha subitement Abdeslam

Aucune réaction. Aziz se contenta d’un long soupir et écrasa sa cigarette par terre.

- Le lendemain de ton départ, on l’avait transportée à l’hôpital dans un état critique. La nuit, elle était prise d’une crise hystérique dont on ne sut pas la cause. Elle passa un mois hospitalisée, elle revint après chez elle et on passa des mois et des mois à la soigner à l’aide de tranquillisants, on lui fit visiter plusieurs marabouts…on avait fait tout ce qu’il fallait pour elle. Quatre ans après, elle s’était abandonnée à la volonté de Dieu et accepta son sort. Un ami de son père demanda sa main pour son fils, un grand commerçant installé en Belgique. Elle accepta à une condition : elle refusa de célébrer ce mariage sous quelque forme que ce fut. Elle resta chez elle une année, le temps pour son mari de préparer les papiers pour le regroupement familial et venir la prendre avec lui. Elle n’est revenue chez ses parents qu’une seule fois en sept ans d’absence. Une fois ses parents sont allés la voir en Belgique à l’occasion de la naissance de son unique enfant. Elle l’a appelé…, Abdeslam se mordit la lèvre et garda le silence.

- Comment l’ont-ils nommé ? demanda Aziz l’air absent

Abdeslam hésita un long moment avant de laisser échapper avec un soupir

- Aziz !

- Je rentre à mon hôtel, j’ai besoin de dormir ! dit Aziz

- Mais rentrons d’abord pour déjeuner !

- La fatigue et le manque de sommeil m’ont ôté tout appétit, je dinerai avec vous…

- Bon ! comme tu veux, je te ramène à ton hôtel.

Sur le pas de la porte, Rajae observait ses deux frères s’éloigner en voiture. Elle était calme, un peu déçue mais gardait l’espoir de revoir Aziz. Elle ne soupçonnait point qu’ils avaient abordé le sujet de Halima. Elle avait presque oubli é cette histoire. Elle resta là un bon moment à réfléchir quand elle vit Driss s’approcher, l’air bredouille, elle le prit par la main et le tira à l’intérieur

- Voyons Driss ! pourquoi fais-tu cette tête-là ? laisse aller les choses, tout prendra du temps et tout rentrera dans l’ordre, vas prendre une douche et change tes vêtements, tu es dans un état…

- Ils ont parlé de Halima, Rajae ! dit Driss avant de s’éclipser dans sa chambre

Rajae resta là à le regarder s’éloigner. Un long moment s’était écoulé avant qu’elle ne reprenne ses esprits « fallait-il ajouter cette histoire à notre deuil ? se demanda-t-elle, ta clémence ô mon Dieu ! » elle alla ensuite trouver refuge dans ses occupation à la cuisine.

La nuit de son départ, Aziz avait abandonné tout, jeté tout derrière son dos. Une blessure, venant de l’être le plus cher au monde, l’être qui était sensé ne jamais blesser, cette blessure restait béante et sa douleur faisait oublier toutes les autres. Aussi avait-il renoncé à son amour, à son bonheur, à son projet de mariage, à une vie équilibrée, heureuse… Il avait signé la rupture avec tout être cher, avec tout sentiment. Maintenant qu’il était revenu, rien ne pouvait le surprendre, rien ne pouvait le bousculer, tout n’avait pour lui aucune importance : l’injustice, la maladie de Halima, son mariage, son départ à l’étranger…tous les rêves étouffés dans leurs berceaux, tout cela ne le perturbait point ! Mais ce dernier mot prononcé par Abdeslam avait autant de poids que tous les malheurs qu’il avait connus, peut-être même plus. Tout ce qu’il avait entendu de la bouche de son frère relevait du banal, du quotidien, ne le touchait ni de près ni de loin, il écoutait sans surprise, sans intérêt. Mais dès qu’il apprit que Halima avait donné le prénom d’Aziz à son unique enfant, c’en était trop pour lui ! La nouvelle s’enfonça dans la blessure comme un couteau et en raviva la douleur. Il usa de toute son énergie pour cacher son désarroi, sa chute dans les enfers du passé. Il avait toujours cru avec satisfaction et plaisir que tout le monde l’avait oublié, même Halima. Halima ne l’avait pas oublié, elle avait même décidé d’éterniser sa mémoire ; elle n’était point prête à l’oublier.