En pleine nuit, le petit groupe, halluciné par ce paysage d'apocalypse, s'est installé dans la caldeira du Kilauea où le «pit crater» de l'Halema'uma'u abrite un lac incandescent de 130 mètres de diamètre et 60 mètres de profondeur. La transgression de ces petits interdits fait partie du plaisir de ceux qui suivent Guy de Saint-Cyr. Ces touristes ne sont pas comme les autres. Quand certains énumèrent les sites touristiques ou les clubs de vacances qu'ils ont «faits», eux sortent des photos de Stromboli, du grand lac de lave du Nyiragongo ou de l'Erta Ale, bouillonnant dans le désert torride d'Ethiopie. Médecin ou ingénieur, chef d'entreprise, militaire à la retraite ou féru d'alpinisme, venant de toutes les régions de France et de tous horizons, ils ne sont pas forcément sportifs, mais éminemment curieux. On les croise dans la salle des petits déjeuners des hôtels à six heures du matin, la mine fatiguée mais les yeux brillants du souvenir de leurs nuits magiques. Aux ambiances festives des nuits d'Honolulu, sur l'île d'Oahu, plus au nord, ils préfèrent les brumes des terres noires de Pélé, la déesse du feu, de la danse et des volcans. En marge des sentiers battus, Guy de Saint-Cyr fait découvrir un Hawaï mystérieux allant des côtes sauvages de Big Island (notre photo) au plus grand tunnel de lave jamais découvert en passant par les observatoires du Mauna Kea (4205 m) ou par les forêts denses de Kalamanu. La légende veut qu'elle ait été chassée de Tahiti en raison de sa mésentente avec sa soeur Namaka, déesse de l'eau. Elle s'installa à Hawaï, et fit du volcan Kilauea, sur Big Island, sa demeure. «Encore aujourd'hui, les Hawaïens sont très attachés à ces légendes, explique sérieusement Guy de Saint-Cyr. J'ai vu des habitants jeter des pierres à une personne qui tentait de détourner une coulée de lave pour sauver sa maison. On ne s'oppose pas à Pélé, ça porte malheur.» Les rivières de magma, très belles à Hawaï, sont l'une des principales raisons pour lesquelles ces touristes d'un genre particulier viennent sur Big Island. Grâce au vulcanologue, qui connaît leurs pièges et leurs stratagèmes, ils peuvent les approcher, soit par la mer, soit en parcourant les champs de lave encore actifs. Chaque fois, c'est la même exaltation. La silice craque sous les semelles épaisses des chaussures de marche. Le sol coupant, parfois élégamment torsadé comme les cordages goudronnés d'un vieux gréement, dévoile à chaque pas des chefs-d'oeuvre dignes de Pierre Soulages. Chacun met consciencieusement les pieds dans les traces de celui qui le précède, s'appuyant sur les plaques de magma à peine solidifiées qui laissent ajourer la lave en fusion comme autant de serpents prêts à sortir de l'enfer, juste en dessous. Les gestes sont précis, la concentration totale jusqu'à ce que la troupe atteigne la première coulée en plein ciel. Les marcheurs peuvent alors sentir la morsure du feu à travers leurs semelles. Il y a ceux qui multiplient les images ou s'amusent à faire cuire sur la lave un steak cousu sur un fil de fer. D'autres restent un peu en retrait, silencieux et contemplatifs. À l'extrémité des falaises, ces chasseurs de lave admirent le magma tombant en cascade de feu dans l'océan blanc et déchaîné comme si ce dernier défendait chaque parcelle de son territoire que la matière en fusion lui grignote jour après jour. C'est l'un d'entre eux qui nous confiera que chaque fois, pour lui, ce spectacle le ramène aux mêmes choses: une impression profonde et magique de voir couler à ses pieds son propre sang, son ADN... Découvrir la lave serait comme prendre conscience d'une naissance perpétuelle, d'un combat positif permanent pour la vie, depuis la nuit des temps, le big bang, la flamme originelle. Assez merveilleux, en tout cas, pour qu'on ne cherche aucune raison de ne pas le croire. A suivre |