Passé
Le couchant rougissait ce palais oublié
Chaque fenêtre au loin, transformée en fournaise
Avait perdu sa forme et n'était plus que braise
Le toit disparaissait dans les rayons noyé
Sous nos yeux s'étendait, gloire antique abattue
Un de ces parcs dont l'herbe inonde le chemin
Où dans un coin, de lierre à demi revêtue
Sur un piédestal gris, l'hiver, morne statue
Se chauffe avec un feu de marbre sous sa main
O deuil! Le grand bassin, lac solitaire
Un Neptune verdâtre y moisissait dans l'eau
Les roseaux cachaient l'onde et l'eau rongeait la terre
Et les arbres mêlaient leur vieux branchage austère
D'où tombaient autrefois des rimes pour Boileau
On voyait par moments errer dans la futaie
De beaux cerfs qui semblaient regretter les chasseur
Et, pauvres marbres blancs qu'un vieux tronc d'arbre étaie
Seules, sous la charmille, hélas! changé en haie
Soupirer Gabrielle et Vénus, ces deux soeurs
Les manteaux relevés par la longue rapière
Hélas! ne passaient plus dans ce jardin sans voix
Les tritons avaient l'air de fermer la paupière
Et, dans l'ombre, entr'ouvrant ses mâchoires de pierre
Un vieux antre ennuyé bâillait au fond du bois
Et je vous dis alors:- Ce château dans son ombre
A contenu l'amour, frais comme en votre coeur
Et la gloire, et le rire, et les fêtes sans nombre
Et toute cette joie aujourd'hui le rend sombre
Comme un vaste noircit rouillé par sa liqueur
Dans cet antre, où la mousse a recouvert la dalle
Venait, les yeux baissés et le sein palpitant
Ou la belle Caussade ou la jeune Candale
Qui, d'un royal amant conquête féodale
En entrant disait Sire, et Louis en sortant
Alors comme aujourd'hui, pour Candale ou Caussade
La nuée au ciel bleu mêlait son blond duvet
Un doux rayon dorait le toit grave et maussade
Les vitres flamboyaient sur toute la façade
Le soleil souriait, la nature rêvait
Alors comme aujourd'hui, deux coeurs unis, deux âmes
Erraient sous ce feuillage où tant d'amour a lui
Il nommait sa duchesse un ange entre les femmes
Et l'oeil plein de rayons et l'oeil rempli de flammes
S'éblouissaient l'un l'autre, alors comme aujourd'hui
Au loin dans le bois vague on entendait des rires
C'étaient d'autres amants, dans leur bonheur plongés
Par moments un silence arrêtait leurs délires
Tendre il lui demandait: D'où vient que tu soupires
Douce, elle répondait: D'où vient que vous songez
Tous deux, l'ange et le roi, les mains entrelacées
Ils marchaient, fiers, joyeux, foulant le vert gazon
Ils mêlaient leurs regards, leur souffle, leurs pensées
O temps évanouis! ô splendeurs éclipsées
O soleils descendus derrière l'horizon
1er avril 1835 Les voix Intérieurs Victor Hugo