Il est 18 heures, le jeudi 27 mars, au deuxième étage de l'Institut de France, quai de Conti,les membres de l'Institut accueillent en leur sein un trésor: manuscrit signé de Chateaubriand.
Un texte d'autant plus précieux que l'auteur des Mémoires d'outre-tombe y évoque le sort de… l'Institut. Quatre académiciens vont se succéder pour dire toute l'importance de ce texte titré Lettre sur l'Institut et pour dire leur bonheur de le voir ici: *Gabriel de Broglie, chancelier de l'Institut, Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie française, Jean d'Ormesson et Marc Fumaroli. Un homme, très discret, conclura cette série de discours, il s'agit de Jean Bonna, le mécène qui a permis l'acquisition de cette Lettre sur l'Institut.
Car, pour que ce texte se retrouve en gloire dans la bibliothèque, il a fallu franchir de nombreux obstacles.
D'abord, la plupart des spécialistes ignoraient jusqu'à l'existence du *manuscrit. En début d'année, *Gabriel de Broglie fut informé qu'un inédit de Chateaubriand était mis en vente aux enchères, à Lyon, par l'étude De Baecque. En temps normal, ce genre de manuscrit aurait eu les honneurs d'une vente à Drouot, Christie's ou à Sotheby's - il se murmure que des études pari*siennes se sont montrées
affreusement jalouses et ont essayé de dénigrer la vente. «C'est une jubilation»
En fait, la Lettre sur l'Institut provient des archives des descendants de Jean-Pierre Louis de Fontanes, écrivain et ami de Chateaubriand. Il passa avec lui des années d'exil en Angleterre. Fontanes, son «ami de trente ans», fut ministre de Napoléon et… membre de l'Académie française.
Ce manuscrit se compose de quinze pages avec de nombreuses additions et corrections ; certains feuillets sont découpés pour l'impression et recollés. Sur la dernière page, on remarque une énorme tache d'encre.
«C'est une jubilation de le voir ici, dit Gabriel de Broglie. Ce manuscrit est l'un des documents les plus significatifs, il en dit beaucoup sur le sort de l'Institut, qui était alors en suspens.» Durant cette période, on débattait du maintien ou de la suppression de l'Institut, création de la Convention. Les royalistes voulaient le supprimer. «Chateaubriand prend une position courageuse pour l'époque», explique Gabriel de Broglie. Dans ce manuscrit, l'auteur du Génie du christianisme écrit «(…) Je suis royaliste incorrigible (…). Vous vous attendiez peut-être, d'après ces aveux, que j'allais prononcer la destruction de l'Institut: pas du tout. Je voudrais même que ce nom d'Institut fût conservé.»
Ce passage est essentiel, souligne Gabriel de Broglie au Figaro : «Parce que nous sommes en pleine période de royalisme triomphant et Chateaubriand, lui-même royaliste, exprime sa volonté de ne pas supprimer l'Institut. Il apporte une caution morale importante en sa faveur.»
Quant à Jean d'Ormesson, il est enchanté par cette acquisition. Il souligne à quel point Chateaubriand soutient, dans ce texte, l'Institut et le cite: «Ce serait une grande faute de renoncer à ce que la Révolution peut avoir produit d'heureux au milieu de tant de malheurs (…). Conservons donc, je le répète, ce nom d'Institut: tout mot qui peut réclamer quelque gloire est naturalisé français».
Bien sûr, la maison De Baecque fait ardemment la promotion de cet objet de désir: «Rarissime et très précieux manuscrit de sa Lettre sur l'Institut, développant ses vues sur la réorganisation et l'épuration de l'Académie française», est-il écrit, en gras, sur le catalogue de vente. Même Chateaubriand le promeut à sa manière, il en parle dans son journal de voyage en Orient. Il dit: «J'ai détruit tous mes manuscrits (ce qui n'est pas vrai, NLDR) ;le seul qui me reste est celui de mon voyage à Jérusalem (…) Je n'ai pas eu le courage de le brûler parce qu'il ressemble trop à ma vie. |